L’atelier de Roger Dérieux
«Il paraît que les Chinois s'entendent à lire l'heure dans la prunelle des chats, quand le temps est couvert.»
Ernst Jünger, Le Traité du Sablier.
Un beau jour - oui, ce fut un beau jour - Roger Dérieux vint à la librairie nous présenter le livre récemment paru qui retrace son oeuvre de peintre, de ses dix-huit ans en 1940 à ses quatrevingt-huit ans si allègres d'aujourd'hui : Roger Dérieux, voir l'heure dans l'oeil des chats. Immédiatement, un rendez-vous fut pris dans son atelier du Quercy blanc. Saisissement. C'est tout à coup, là, devant nous, la peinture moderne française et son prolongement contemporain, une oeuvre qui prend naturellement place à côté de celle de Bonnard, Matisse, de Staël, Schwitters; si bien qu'au plaisir rassurant de reconnaître se mêle, plus vif et intrigant, celui de découvrir.
La première sensation, de couleurs, est joyeuse. Mais la joie ne tient pas qu'à cela, à ces premières notes éclatantes reçues - puisque aussi bien les couleurs peuvent s'assourdir -elle tient à une sensation d'équilibre, d'harmonie qui nous amène à voir d'où viennent les discrètes stridences, comment les couleurs prennent leur valeur de leur singularité propre, des formes qui les dictent et de leur association.
Très vite, voilà qu'on entre dans cette peinture comme dans le poème ou comme dans une composition musicale. Ces comparaisons ont le mérite d'approcher le sens de la peinture qui continue trop souvent à être perçue comme représentation, puisque art de la représentation, elle le fut des siècles durant.
Roger Dérieux a longtemps peint des paysages, des natures mortes, des portraits, mais on comprend sa réticence à les nommer ainsi, cette désignation pouvant être source de malentendu. Quand il peint des toits, Roger Dérieux préfère parler de «signes»; le mot «toits», il le réservera pour le titre de l’oeuvre, tel le mot du poème. Comme son ami Francis Ponge, il a toujours pris le parti des choses. Du réel il est passionnément nourri et, avec toute la vitalité et l'humilité que cela exige, il se transporte dans l'espace de la création, «un immense espace possible, sans limites, sans frontières», écrit-il dans Passage d'un oiseau. Sur la surface plane, comme «l'absente de tout bouquet», l'oiseau, l'absent de tout ciel et de tout dessin, va devoir passer...
Là réside le miracle de l'art, dans l'espace augmenté, les sensations renouvelées, un monde créé, un rêve mis en oeuvre. L'opposition figuration/abstraction tombe tant il ne s'agit jamais avec la peinture que des «entretiens de la lumière du jour avec les formes et les couleurs».
(Francis Ponge, L'Atelier contemporain, Pour Roger Dérieux)
Avec les collages, depuis une trentaine d'années, Roger Dérieux a choisi une autre manière de peindre par agencement de papiers qu'il froisse, peint et découpe. Si l'on rapproche Kubismus, un collage-peinture de 2003, de Reine à la veste verte de 1954 ou d'une de ses «figurations mourantes» (F. Ponge encore) Plateau ardéchois de 1976 ou La Ferme du plateau de 1964, on reconnaît la même palette, le même art des passages d'une couleur à une autre, le chevauchement des formes comme une succession d'écrans selon une dynamique verticale ascendante. Toujours l'espace s'ouvre et s'illimite.
Son Ardèche natale avec ses horizons haut placés et sa lumière méridionale, la présence constante d'êtres aimés, la compagnie de poètes et de musiciens, la reconnaissance que les meilleurs lui manifestèrent très tôt, en bref, le don reçu et prodigué, ont fait de Roger Dérieux l'homme d'une peinture heureuse sous l'arc-en-ciel de la déesse Iris.
Nicole Détourbe
Quelques repères parmi les nombreuses expositions personnelles et collectives dans de prestigieuses galeries et dans les musées :
Galeries Athenaeum et Corner, Copenhague (1950, 1962) / Galerie 27, Oslo (1963) / Galerie of Graphic Art, New York (1963) / Galerie Jacob, Paris (1967) / Galerie O. Nouvellet, Paris (1999) /Galerie des Septs collines, Vienne (1999) / Cheyne Editeur, Le Chambon-Sur-Lignon (2007) /Galerie Renou et Poyet, Paris (2008).
Glyptotek, Copenhague (1950) : Levende Farver avec Bazaine, Estève, Picasso, Manessier, Soulages, Nicolas de Staël... / Kunst Museum, Lucerne (1958) / Musée des Arts décoratifs, Paris (1964) / « Peintres français contemporains », Prague, Bratislava, Budapest (1966) / Musées, Suède (1968) / Centre Georges-Pompidou, Paris (1977) : Autour d'André Frénaud / Musée Ingres, Montauban (1992) / Musée Filhol, Annonay (2001).
Roger Dérieux et le livre
Roger Dérieux a réalisé une quarantaine de livres d'artiste autour de ses poètes préférés.
Il est l'auteur de Reconnaissance à Salzbourg (1975), Carnets du Vivarais (1986), Passage d'un oiseau suivi de Sept lettres de Francis Ponge à l'auteur (2005).
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